*cet article est extrait du chapitre écrit par Catherine Champeyrol pour le livre " Le Dessous des Tendances" Julien Féré - Juin 2022 - Editions Ellipses
Comme la prospective, le décodage des tendances, l'anticipation des futurs sont des ressources très stimulantes pour les processus de créativité. Cet article vous propose d'investiguer comment 2 aptitudes, la prospective et la créativité, s'expriment en terme de culture d'entreprise.
L'analyse se schématise en 2 dimensions : en abscisse "innover", en ordonnée "anticiper". Voici comment elle éclaire 4 cultures d'entreprise
La culture opportuniste : saisir les attentes des consommateurs tout en comprenant bien le jeu des acteurs sur le marché, cela permet d’élaborer des scenarii prospectifs éclairés par la connaissance du terrain. De nombreux leaders sur des secteurs en transformation rapide sont d’excellents agrégateurs de talents, ils détectent les pépites qui sauront répondre aux aspirations de leurs clients cibles. Les incubateurs de start-up sont leurs réservoirs d’innovations et ils adoptent une politique agressive d’acquisitions soit pour tirer parti d’une innovation à fort potentiel, soit pour la bloquer… On ne compte plus le nombre de start-ups prometteuses parties à la trappe après un bref passage chez Facebook par exemple.
Agiles dans l’identification des évolutions de style de vie, centrés sur l’observation du marché, les opportunistes adoptent leur modèle économique pour surfer sur les tendances les plus porteuses.
Cette culture opportuniste est très visible chez les marques de fast fashion. La mode c’est capter la tendance au bon moment, avant c’est trop tôt, après c’est trop tard. Être précurseur n’est pas le sujet, c’est ici et maintenant en captant le désir des clients que cela se joue. H&M dispose d’une logistique rodée très réactive, d’une importante équipe de stylistes en interne, traite en temps réel les remontées de ses ventes, et consomme du conseil en décodage des tendances pour canaliser son offre sur les pistes les plus porteuses. Peu de marques ont cette capacité d’adaptation rapide, leur cycle de conception et de mise sur le marché est généralement d’1 an ou de18 mois, c’est d’ailleurs l’intervalle d’anticipation des cahiers de tendance des bureaux de style (en Janvier de l’année N sont édités les tendances couleurs, formes et lifestyle de l’été N+1)
La culture conservatrice : souvent l’apanage des marchés protégés ou des marques endormies sur leurs lauriers passés, la résistance au changement s’appuie sur le principe de précaution et/ou sur une déconnexion des transformations en cours. Peu d’acteurs ont le luxe de survivre à cette culture, seuls des marchés réglementés et monopolistiques peuvent prétendre au statu quo. Ces marchés tendant à disparaître… le réveil s’avère douloureux dans un contexte de dérégulation !
Le nombre de marques mondiales évincées par manque de vigilance ou par excès de confiance laisse pantois : Kodak, Saab Automobile, PalmPilot, Nokia, Segway, Yahoo…
Des biais cognitifs jouent un rôle dans ce déphasage avec la réalité, ils altèrent l’analyse des tendances comme la qualité des propositions créatives.
Voici 7 biais générateurs d’erreur parmi les plus fréquents :
Le biais de confirmation : sélectionner les informations qui confirment les croyances tout en ignorant ou discréditant celles qui les contredisent.
L'effet de halo : percevoir une personne ou un groupe d’individus en étant influencé par une opinion ou un stéréotype préalable.
Le biais rétrospectif : surestimer comment un événement était prévisible ou probable, une fois qu’il advient.
L’heuristique de disponibilité : baser son analyse sur les éléments les plus immédiatement disponibles, sans chercher à sortir de sa zone de confort.
L'illusion de corrélation : établir artificiellement une relation entre deux événements, exagérer le lien entre des données.
Le biais de représentativité : généraliser à partir de cas particuliers non représentatifs ou de son expérience personnelle.
Le biais d’ancrage : raisonner avec en référence des expériences passées, utilisées comme repères rassurants face à l'incertitude.
La culture de la vision : avec tous les capteurs ouverts pour saisir les opportunités de leurs marchés et une appétence pour l’innovation, ces entreprises performantes installent leur leadership. Elles formulent leur raison d’être, qualifient leur mission et alignent leurs équipes sur une vision déclinée en objectifs planifiés. Attractives et déterminées, elles captent l’attention des médias, leurs succès comme leurs échecs sont commentés.
Le site https://killedbygoogle.com/ référence les projets avortés de Google, la presse marketing analyse les échecs de Nestlé (Nesfluid), Coca-Cola (Coca-Cola Blāk) ou Danone (Essensis).
Quelle leçon en tirer ? Que la qualité de la créativité associée à l’exploitation des tendances ne rend pas infaillible…
La vision peut devenir une illusion de contrôle dans des marchés jamais figés, toujours en mouvement. Sa vertu est qu’elle mobilise les parties-prenantes sur un récit fédérateur, rassurant, qui donne un cadre à l’intelligence collective. Il n’y a cependant pas de solution miracle, l’environnement des entreprises est complexe et la recette du leadership visionnaire n’existe pas.
Les leaders visionnaires, qui savent conserver leur leadership dans le temps, ont un point commun : la capacité à se remettre en question.
C’est l’exemple donné par Nestlé qui, durant l’été 2021, prenant en compte la demande croissante d’un style de vie sain et équilibré, avoue dans une note interne que certaines de ses gammes ont des propriétés nutritionnelles faibles et ne sont pas considérées comme bonnes pour la santé au regard des grilles Nutri-Score. C’est une prise de conscience courageuse et stratégique qui devrait durablement impacter la politique d’innovation et donc l’expression de la créativité des équipes.
La culture du prototype : apprendre en faisant, être force de proposition et tester l’accueil des marchés, agir dans un environnement peu prévisible en suivant une logique d’effectuation (www.effectuation.org), c’est le comportement d’entrepreneurs qui se posent peu la question de faire ce qui marche/va marcher et qui ambitionnent plutôt de faire marcher ce qu’ils souhaitent faire. Prévoir pour décider n’est pas la priorité, c’est tester des alternatives et apprendre de ces essais qui fait progresser le projet et son modèle économique.
C’est par la créativité injectée dans le projet, en le faisant vivre, que peu à peu va se structurer la vision et se préciser le marché. La conviction portée par la culture du prototype est que la meilleure façon de prédire l’avenir est de le créer soi-même. L’expérimentation est reine en mobilisant les ressources immédiatement disponibles.
Cette culture résonne avec l’esprit pionnier revendiqué par de nombreuses startups, très médiatisée elle n’est cependant pas un bouclier contre l’échec.
Parmi les causes principales de la débâcle de nombreuses startups, la non-adéquation avec les attentes/aspirations du marché est en bonne place.
D’anciennes startups au succès évident aujourd’hui ont pivoté leur modèle plusieurs fois avant de trouver leur positionnement : c’est le cas de covoiturage.fr lancé en 2004 qui devient blablacar.fr en 2011, qui accélère sa croissance internationale et se place en 2021 comme le leader mondial du covoiturage...
Dans la durée, chaque organisation vit sa propre trajectoire entre ces 4 cultures, elle n’est pas assignée à une culture unique.
Le modèle de ces 4 cultures est aussi une grille très utile pour analyser la stratégie des acteurs sur un marché donné, pour positionner un environnement concurrentiel, pour aider au diagnostic des atouts et des pièges d’une organisation.
Extrait du livre "Les Dessous des Tendances" 2022 Éditions Ellispes
Chapitre " Tendances et Créativité" écrit par Catherine Champeyrol pour Julien Féré
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